Info ou Intox, la loi EGAlim qui interdit les distributeurs de revendre à prix coûtant entraînerait une augmentation des prix pour certains produits alimentaires ?
Bonne question, nous nous sommes penchés sur le sujet et la réponse n’est pas aussi tranchée.
Comme nous vous l’expliquions dans notre précédent article sur les 6 principes de base en agroalimentaire de la loi EGalim, l’une des premières vocations est de mieux rémunérer les agriculteurs.
Mais comment ? En augmentant les prix ? Pas vraiment.
Zoom sur cette « hausse des prix » non pas fictive car réelle mais pas liée à la loi EGalim.
En interdisant aux distributeurs de vendre à prix coûtant, la loi Alimentation devrait entraîner l'augmentation des prix de certains produits alimentaires.
Mieux rémunérer les agriculteurs
Pourquoi les agriculteurs ne pourraient pas eux aussi vivre de leur labeur ? Pourquoi ne pourraient-ils pas être payés de manière décente ?
Prenons l’exemple du Lait, savez-vous combien touchent les éleveurs laitiers en moyenne sur une brique de lait ? En 2015, un éleveur laitier récupérait 35,5% du prix final payé par le consommateur, l’entreprise agro-alimentaire qui lui a acheté le lait touchait de son côté 42,1%, ensuite la distribution (17,1%) et la TVA (5,3%).
Maintenant transposez cet exemple à votre activité, n’est-il pas normal de vouloir être rémunéré plus de 35% sur un produit.
Selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole – le régime qui gère la protection sociale des agriculteurs – en 2016 ils étaient un tiers à avoir touché une rémunération mensuelle de moins de 350 euros (cette moyenne comprend également le revenu des agriculteurs exerçant une double activité, l'agriculture n'étant pas toujours la principale). Qui peut vivre aujourd’hui avec 350€ par mois ?
Pire encore, 296 agriculteurs français auraient mis fin à leurs jours entre 2010 et 2011 ; d'après une étude de l'Agence de santé publique ; ne pouvant plus vivre de leur exploitation. Trois fois plus de suicides chez les agriculteurs : le secteur traverse une crise sérieuse et le nombre de suicides en témoigne.
La profession est bien plus touchée que la moyenne : un agriculteur se suicide tous les deux jours, selon l’institut de veille sanitaire indiquant un taux de suicides trois fois plus élevé pour un exploitant que pour un cadre.
Partout il est question de circuit court, de manger local, de manger de saison… mais comment y parvenir sans nos agriculteurs ?
C’est toute la mesure de la loi EGAlim qui prévoit outre une meilleure rémunération des agriculteurs, l’encadrement des promotions à pertes et ne plus vendre à prix coûtant.
La feuille de route du gouvernement est claire sur le sujet et s’articule autour de 3 axes stratégiques :
- assurer la souveraineté alimentaire de la France ;
- promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l’environnement ;
- réduire les inégalités d’accès à une alimentation de qualité et durable.
Et comment permettre aux agriculteurs d’être mieux rémunérés ? Le projet de loi renverse le processus de construction du prix payé aux producteurs, en s’appuyant sur les coûts de production effectifs.
En conséquence, le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend, c’est‑à-dire le producteur.
Ne plus vendre à prix coûtant concrètement qu’est-ce que cela veut dire
La loi EGAlim, adoptée en octobre 2018 visant à permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu digne en répartissant mieux la valeur prévoit en parallèle de relever le seuil de vente à perte de 10% sur les denrées alimentaires, à titre expérimental pour une durée de deux ans.
Ce processus doit permettre de favoriser un rééquilibrage des marges en faveur des agriculteurs et des PME en permettant de lutter contre les prix abusivement bas. Pour mettre cela en perspective, cette notion de prix trop bas touche déjà de nombreux secteurs où la concurrence fait rage : BTP, Transport…
Pour lutter contre ces prix trop bas « assassinant » les agriculteurs, certains produits vont voir leurs prix augmenter et d’autres vont voir leurs prix baisser.
En effet d’après l’article 15 de la loi EGAlim pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous permet au gouvernement dans les 4 mois de prendre des ordonnances de mesures visant à :
- Affecter le prix d'achat effectif défini au deuxième alinéa de l'article L. 442-2 du code de commerce d'un coefficient égal à 1,1 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, revendus en l'état au consommateur ;
- Encadrer en valeur et en volume les opérations promotionnelles financées par le distributeur ou le fournisseur portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, et de définir les sanctions administratives permettant d'assurer l'effectivité de ces dispositions.
D’ailleurs l’ordonnance du 12 décembre 2018, qui prévoit un relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, est entrée en vigueur le 1er février dernier.
Cette ordonnance oblige les distributeurs à ne plus vendre à prix coûtant (le seuil de revente à perte (SRP) à partir duquel les commerçants peuvent vendre des denrées alimentaires est réhaussé de 10%).
Le schéma basique consisterait à simplifier les choses aux maximum et à répercuter les seuils sur les consommateurs. Comment ? Par le biais des distributeurs qui ayant l’habitude de vendre certains produits à prix coûtant devraient augmenter ces produits de 10%.
Mais si au lieu d’augmenter les produits, la solution passait par les marges des distributeurs et par des produits de qualité notamment à travers les deux nouveaux labels en GMS pour 2020.
Baisse des marges et autres ripostes en GMS
Sur les produits d’appels baisser les marges s’avère être compliqué, en revanche et c’est la stratégie qu’ont mis en place Leclerc et Intermarché par exemple, ils vont baisser leurs prix sur les marques distributeurs car ils avaient des marges supérieures à 10% sur ces produits.
Au total, ce sont 4% des produits qui sont concernés, soit un millier dans un hypermarché qui compte 25.000 références. Le but de cette loi est de mieux rémunérer les agriculteurs en limitant la guerre des prix des distributeurs.
Mais la GMS ne voit pas les choses de la même manière, alors certes ils ne peuvent plus vendre à perte certains produits, mais ils ne veulent pas pour autant perdre en marge et en GMS on redouble d’ingéniosité.
Outre les marques de distributeurs (MDD) qui sacrifient leurs marges avec les produits de marque Carrefour, Marque Repère (Leclerc), Casino ou encore Paquito, Pâturages ou Monique Ranou (toutes chez Intermarché) en baissant leurs prix, les distributeurs ont également d’autres idées.
Depuis le 1er février, Carrefour remet des bons d’achats aux détenteurs de la carte de fidélité Carrefour sur 200 des 1 000 produits ayant vu leurs prix augmenter.
Ces remises vont de 5 centimes à 1,50€ selon les produits. Cette technique permettra de baisser les prix des produits stars tout en restant dans les clous de la loi pour la marge.
Vous l’aurez compris EGAlim n’a pas fini de faire parler d’elle mais les différentes filières s’organisent pour mieux appréhender les ordonnances du gouvernement.
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